Deux anciens étudiants de l’École Boulle, Dimitry Hlinka et Nicolas Pinon, ont remporté cette année le Prix Bettencourt pour l’intelligence de la main, catégorie Dialogue. 1 designer + 1 artisan. Leur œuvre s’intitule Entropie. C’est un radiateur d’un nouveau genre, en matière végétale, qui a la particularité de changer de couleur sous l’effet de la chaleur, passant du noir profond au rouge intense, grâce à une laque thermochromique mise au point en secret au Japon. C’est un radiateur magique dit Nicolas, modeste sur ce procédé qu’il a inventé.
Cette innovation, fruit d’un travail de recherche patient et passionné, fait basculer la technique multiséculaire de la laque japonaise dans le XXIe siècle, avec des perspectives de développement industriel évidentes, et pas que dans le secteur du chauffage d’appoint. Art de la table, architecture intérieure, design, décoration. L’exploitabilité commerciale d’un tel projet n’a de limite que l’imagination des nombreux industriels qui se bousculeront bientôt à la porte des ateliers de Dimitry et Nicolas. The sky is the limit! Le jury du Prix ne s’y est pas trompé et a désigné Entropie vainqueur à l’unanimité.
Le parcours des deux lauréats, auréolé de gloire par cette distinction illustre, a de quoi laisser rêveurs les futurs designers et artisans. Mais on ne passe pas de la cour de l’École (surtout Boulle) à la cour des Grands, sans franchir quelques étapes ni consentir quelques sacrifices. Le premier demeurant d’avoir choisi la voie professionnelle, avec son lot de préjugés. À Boulle cette voie pro. s’appelle le DFESMA, Diplôme de Fin d’Études Secondaires des Métiers d’Art. Préparant en trois ans à un diplôme équivalent au Baccalauréat, la FMA (en abrégé) n’a pas toujours la reconnaissance qu’elle mérite alors qu’elle est le cœur battant de l’École Boulle, véritable fabrique d’une excellence en devenir via aussi le CAP et le BMA.
Unique en France et sans doute au monde (sans chauvinisme), cette formation répartie en deux pôles (bois et métal) dispense un enseignement professionnel sans pareil, préparant aux métiers de l’Ébénisterie et de la Monture en bronze. Pour ces jeunes, privilégiés sans toujours bien le mesurer, ce passage par la FMA sera déterminant. Où ailleurs acquérir progressivement ces gestes techniques et ces savoir-faire d’Atelier qui marqueront dans leur chair et dans leur esprit ces experts chevronnés qu’ils deviendront et dont on s’arrachera la compétence au-delà de nos frontières ? Nulle part au monde (sans chauvinisme).
De ce passage par la « petite porte » de l’École Boulle, Dimitry Hlinka et Nicolas Pinon gardent une certaine culture, forgée par la fréquentation assidue de la matière. Et avec ce respect teinté de réserve qu’ont ceux qui se sont donné pour métier de la domestiquer. Et qui savent qu’on n’y parvient qu’au prix d’une ardente négociation. La matière ne se laisse transformer qu’autant qu’elle ne transforme elle-même, dans un corps à corps musclé qui n’a rien de métaphorique. Entre la main et la matière, c’est bien à une espèce de bras de fer qu’on assiste avec l’outil comme arbitre.
Un tel enseignement laisse immanquablement des traces au corps comme à l’esprit. Et s’il y a bien un sacrifice à consentir pour jouer un jour dans la cour des Grands, c’est de se construire sur l’idée d’être d’abord tout petit. En regard de la matière souveraine, comme des figures tutélaires d’ornemanistes prestigieux qui ornent les façades de Boulle : Openhord, Lebrun, Carache, Carlin, Le Primatice… Mais aussi le designer-mécanicien Jean Prouvé auquel on doit la façade de l’École sur la rue Bourdan. Impossible de franchir ce vénérable seuil sans prêter serment… Entrer à Boulle, quelle que soit la porte, c’est entrer dans les ordres des Métiers d’Art et du Design !
Dialogue. Le Prix Bettencourt pour l’intelligence de la main célèbre la capacité inédite de deux créateurs désireux de parler une langue commune. Et qui apprennent à se comprendre en faisant ensemble. Pour le designer et l’artisan, cette langue est celle de la matière assurément. Le patrimoine français n’est jamais aussi bien défendu que lorsqu’on se passe des mots. Simple et beau comme un trait de crayon sur une feuille, le radiateur Entropie de Dimitry Hlinka et Nicolas Pinon cache sa complexité avec modestie et élégance. Un objet fonctionnel élevé au rang d’art, par le pouvoir conjugué de la tradition et de l’innovation. Tout est dit en un changement de couleur. L’École Boulle à son meilleur niveau.
Respect du professeur.
Dimitry HLINKA : CAP, BMA Ébénisterie, DMA Marqueterie, DSAA Événementiel et Médiation, Ateliers de Paris.
Nicolas PINON : FMA Ébénisterie, DMA Ébénisterie, formé à la laque traditionnelle au Japon.