Médiation et design : Rencontre avec Béatrice Quette, responsable des collections asiatiques au MAD

Propos recueillis par Emeraude Convercey-Blondeau, Léa Courtin et Daphné Somoza-Sternis.

Depuis 6 ans, Béatrice Quette est l’interlocutrice privilégiée d’ un partenariat mené entre le DSAA Événementiel et Médiation et le Musée des Arts Décoratifs dans le cadre des soirées Vivez Lézards. L’occasion pour nous de profiter de cette collaboration pour en savoir plus sur son expérience au sein du MAD et sa vision de la médiation.

Léa : Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?

Ah ! Ça fait 34 ans dans deux jours que je suis au Musée des Arts Décoratifs, alors on va faire court. Je suis arrivée le 25 février 1985, j’étais étudiante en deuxième année à l’école du Louvre et je travaillais à mi-temps au service culturel comme assistante de la responsable des activités pour les étudiants et les adultes. Poste que j’ai tenu jusqu’au 31 août 2018.

Quand Olivier Gabet1 est arrivé, il savait que j’étais spécialiste des arts asiatiques et m’a chargée de mettre en avant les collections asiatiques à travers plusieurs projets.  

Le premier a été l’exposition de la Chine2 il y a cinq ans.

Pendant cinq ans et demi, je m’occupais à mi-temps de développer les activités pédagogiques et culturelles pour les plus de 18 ans. Travailler sur les deux postes est une situation amusante et intéressante.

Au bout de deux ans j’avais envie d’être complètement disponible. Le 1er septembre, le poste de conservateur des collections asiatiques a été créé et je l’ai eu. Donc, officiellement, je suis en charge des collections asiatiques.

Daphné : Par rapport à ce que vous dites, pourquoi avez-vous eu cette attirance vers le monde des arts asiatiques ?

Parce qu’il y a des choses… Vous savez, pourquoi vous êtes dans les filières que vous avez choisies de faire ?

Il y a pleins de facteurs. Il y a une rencontre, un choc esthétique qui s’est fait quand j’étais gamine avec l’art japonais. Il y a la rencontre avec l’écriture japonaise, parce que ma mère la pratiquait, je trouvais ça d’une beauté absolue. Et il se trouve que j’étais dans un lycée où j’ai pu faire du japonais. Après j’ai fait de l’histoire de l’art et puis je me suis spécialisée dans l’art asiatique à l’école du Louvre.

Léa: Ça s’est fait naturellement.

Oui et non, parce que c’est des histoires de choix, d’opportunités. Quand je suis arrivée au département pédagogique et culturel, je ne faisais plus du tout d’art japonais ni d’art chinois. Comment faire pour garder ce que j’avais développé dans mes études, mais que je n’exploitais plus dans mon métier ?

Il se trouve que j’ai fait une exposition en 1998 sur les collections du musée, un sujet que j’étais la seule à pouvoir faire. Comme je m’occupais de la pédagogie, des arts asiatiques, j’étais en charge de faire des cycles de conférences. Comme à Guimet, il y avait peu de cycles de conférences sur l’art asiatique, alors tout de suite j’en ai organisé. Puis on m’a demandé de remplacer mes professeurs à l’école du Louvre.

J’ai gardé le travail dans les collections asiatiques le soir, le week-end, les vacances, sur mes temps de congés, etc. C’est aussi ça qui a fait que j’ai gardé un réseau, c’est très important. Le prédécesseur d’Olivier Gabet ne voulait pas du tout que je m’occupe de l’art asiatique, mais je continuais sur mon temps off. Quand Olivier Gabet est arrivé, il savait que j’avais publié un très gros bouquin sur les émaux cloisonnés3 et que j’avais fait cette exposition à New York4. J’avais continué à développer mon réseau, sinon ça aurait été impossible. Sachant ça, j’ai beaucoup publié sur le sujet. Dès qu’on me proposait je disais oui, ça a aidé. Les réseaux sont hyper importants.

Daphné : A propos des cycles de conférences que vous avez organisés, est-ce que pour vous c’est déjà une forme de médiation ?

Bien évidemment que c’est une forme de médiation. Une conférence c’est une médiation, autant qu’une visite guidée, bien sûr.

Daphné : Et donc est-ce que vous pourriez tenter de nous donner une définition de la médiation ?

Non, j’allais vous poser la question.

Ah, *rires*

Ah oui, c’est vous qui allez répondre à la question. On va voir si on est d’accord sur la réponse. Qu’est-ce que c’est pour vous la médiation ?

Daphné : La médiation c’est, pour moi, des pluralités de dispositifs, ça peut être des dispositifs physiques : des tablettes, des cartels, etc., jusqu’à une personne, un médiateur qui va essayer de faire comprendre quelque chose à un public, transmettre un message.

Emeraude : Créer du lien, une rencontre avec une personne, avec l’œuvre.

Léa : Lier 2 univers.

Moi, avant de parler des outils, j’aurais parlé de votre dernière phrase. C’est une transmission d’une information, de quelqu’un vers quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas de la communication. Quelle est la différence entre la médiation et la communication ?

Daphné : Pour vous il y a une différence ?

Évidemment, il y a une différence fondamentale. Un communiqué de presse ça sert à quoi ? À transmettre ? Non. Alors oui, on transmet un message on est d’accord mais pas pour le même but. C’est quoi le but de la médiation ?

Daphné : C’est, transmettre…

Transmettre quoi ?

Léa : Des savoirs

Voilà. La communication, on transmet quoi ?

Léa : Une information.

Voilà. Ça change tout ! Transmission ça veut dire transmettre une connaissance, pour qu’elle soit retenue, exploitée par celui qui la reçoit. La communication on l’exploite, on en fait quelque chose mais on n’a pas besoin de la retenir forcément. Il y a donc une grosse différence entre la médiation et la communication. C’est très important. Pour moi, la médiation c’est transmettre un savoir pour qu’il soit reçu, compris, et retenu de l’autre côté. Il faut qu’il y ait un but.

Après les outils peuvent être la voix humaine, avec des visites guidées, conférences, concerts, rencontres, débats, colloques, journées d’études etc. C’est surtout écrit et oral. Dans les écrits il y a les réseaux sociaux, les tablettes, le cartel papier, le catalogue, le livret, le dépliant…

Léa : Pendant plusieurs années, vous avez travaillé avec le DSAA événementiel et médiation (voir liens en bas de l’article) et vous avez vu comment nous abordions la médiation avec le design. Qu’est-ce que peut apporter le design à la médiation selon vous ?

Pour moi, dans ce partenariat, le design était là pour développer un outil de médiation.

Emeraude : Donc, on pourrait se demander, quelle part a le design dans la médiation ?

Comme tous les outils, s’il est réussi, il est efficace et sert la médiation. S’il est raté dans sa réalisation mais que l’intention est bonne, ça marche toujours. S’il est raté dans son expression, mais qu’il est très beau, ça ne marche pas. Il y a des adéquations très fortes entre votre propos de médiation, votre intention de médiation et votre outil développé. Parfois vous créez le propos de médiation à partir de l’outil. Ça ce n’est pas bon parce que ce n’est pas le but de départ, sinon vous faites du design, pas de la médiation. Le bon sens c’est « je veux faire une médiation, quel est l’outil qui va m’aider à le faire ? ».

Emeraude : Est-ce qu’il y a une médiation que vous auriez-vu au MAD ou ailleurs qui vous a particulièrement marqué et pourquoi ?

C’est trop vaste comme question. Parce qu’il y en a 100 000 qui fonctionnent. Vous me diriez, cette année à Boulle dans les médiations qui ont eu lieu, je peux vous donner une réponse, mais dans votre vie de 25 ans de médiation… ce n’est pas possible.

Après si vous voulez connaître la recette parfaite de la médiation, je peux vous le dire. Il faut quelqu’un qui connaisse très bien son sujet, qu’il ait envie de transmettre, qu’il sache s’adapter au public qu’il a en face de lui. Il faut un public réceptif, si au bout de cinq minutes ils sont tous éparpillés ça ne va pas. Et éventuellement il faut que le sujet soit un peu passionnant et qu’il y ait un truc un peu exceptionnel. C’est ça les outils d’une médiation réussie.

Après il y a parfois des moments où l’on est particulièrement inspiré, ou bien s’il y a en face de nous des gens qui sont réceptifs, qui posent des bonnes questions. Un jour on m’a dit « c’est quoi vos outils de médiation ? », il y a les visites guidées et les conférences, on m’a dit « ah bon c’est tout ! ». Mais ce n’est pas tout, ça c’est la forme, car une visite guidée n’est jamais la même. Quand vous avez eu la visite avec Michelle Aubriot5, elle savait pourquoi vous veniez là donc elle vous a fait une visite aux petits oignons, elle vous a tout raconté, pour chaque vitrine. Est-ce que c’était une médiation réussie ?

Les trois : Oui !

Pourquoi ?

Daphné : Parce qu’elle s’est adaptée à son public.

Elle s’est adaptée ! Elle connaissait bien son sujet, vous étiez attentifs parce que vous étiez motivés… Après le jour où vous faites passer la porte du musée à quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds parce qu’il se sentait exclu de cet univers, ça aussi c’est une médiation réussie. Et vous vous dites que non seulement il a passé la porte, mais il passe la porte dans l’autre sens en se disant qu’il a passé un moment formidable et que lui aussi a le droit de venir dans ce musée. Ça, ça vous fait pleurer. J’ai pleuré beaucoup dans ma vie de joies comme ça, de trucs merveilleux. Il faut qu’il y ait une étincelle.

Daphné : Dans notre section on a l’association à la fois de l’événementiel, du design et de la médiation. On aimerait avoir votre point de vue sur le rapport entre la scénographie d’une exposition et la médiation. Est-ce que pour vous la scénographie ou même le commissariat d’exposition c’est déjà une médiation, car on oriente notre propos par rapport à un type de public ?

C’est à vous de me dire. Je trouve que c’est intéressant d’avoir votre avis.

Dans l’expo Japon-Japonisme6, par exemple, si je mets cette tasse ici (voir croquis ci-dessus), si je la mets comme ça [elle rajoute un mouchoir dessous] ou si je la mets comme ça [elle rajoute un thermos à côté] est-ce que je dis la même chose ? Non ! C’est déjà de la médiation. Évidemment que la scénographie peut participer à la médiation. Après ce n’est pas pour ça qu’elle est comprise par le public. Par exemple dans la partie sur la nature, le fait d’avoir mis les objets côte à côte, Japon, Japonisme, ancien, contemporain… il y a des gens qui n’ont rien compris et qui étaient agacés : « On ne nous explique pas ce que c’est que le japonisme »… Mais ce n’est pas le sujet de vous expliquer ce que c’est que le japonisme. On est en train de vous raconter une histoire d’influence qui s’est faite au Musée des Arts Décoratifs. Les gens se sont plaints en disant « on ne comprend rien à ces vitrines ». Je me suis dit tant pis, ils vont quand même comprendre quelque chose. Ils vont comprendre chacun une exposition différente mais ils vont comprendre. Il y a des textes par section qui sont très clairs et pédagogiques. C’est l’avantage d’avoir travaillé dans la médiation pendant 25 ans. Il fallait dire le plus de choses possibles, visuellement, par la scénographie. L’absence de petits cartels sur les vitrines a énervé certaines personnes. Mais en même temps, vous avez déjà vu des endroits où vous êtes obligés de lire en permanence pour comprendre ?

Si on a à ce point besoin de mettre du texte partout, c’est qu’il y a quelque chose qu’on a raté, on ne peut jamais être exhaustif. Et en effet, la scénographie doit aider à faire comprendre, elle doit participer à la création. C’est un message muet. Mais un muet qu’on doit entendre très fortement. Une scénographie peut être extrêmement sobre et efficace, mais aussi très sophistiquée et complètement ratée. Parfois les moyens les plus simples sont les plus efficaces.

[Béatrice a deux bols sur sa table. Elle pose l’un d’eux devant nous.]

Sous vos yeux il y en a un, vous regardez celui-là, mais s’il y en avait vingt, vous regarderiez l’ensemble. Puis vous vous seriez dit : « Tiens, ils sont tous différents, aucun n’a le même décor ».

Et quand vous allez visiter des expositions, il faut que vous ayez un regard critique sur la scénographie par rapport au propos : « Comment elle sert le propos, est-ce que c’est efficace ? ». Vous remarquez ce qui fonctionne, notez aussi ce qui est raté, parce que de l’échec on apprend des choses.

Léa : Par rapport à la disposition particulière des objets, pensez-vous que nos médiations des soirées Vivez Lézard jouent un rôle semblable ?

Quand Éric Dubois est venu me voir il y a 6 ans, en me disant « on va créer un nouveau DSAA à l’école Boulle, qui va s’appeler Événementiel et Médiation, est ce que vous auriez envie de participer ? », j’ai dit oui. Parce que c’était intéressant d’avoir cet aspect de designer événementiel.

Je sais bien que vous n’êtes pas des médiateurs et c’est aussi pour ça qu’on vous a poussé dans ce champ-là, parce que vous étiez plus du côté de la fabrication de l’objet, etc.

Ce qui nous intéressait, c’était de varier ces formes de médiation, et d’inviter les 18-25 ans qui peuvent rentrer gratuitement dans les expositions, et pour autant qui n’y vont pas.

Et vous, étudiants du DSAA, vous vous différenciez de ce qu’on faisait très classiquement avec les conférences, les visites guidées. Tout le monde m’a dit : « ton truc c’est ringard, les 18-25ans n’ont pas envie de venir pour avoir une visite guidée » et bien écoutez, ils sont venus. Si bien qu’à la fin ils nous disaient merci, car d’avoir eu la visite gratuite ils étaient heureux de pouvoir venir.

Daphné : On souhaiterait clore avec vous cette interview par un questionnaire de Proust revisité,

À chaque fois il y a deux propositions, et vous nous dites laquelle vous inspire le plus.

Un choix donc…

Le premier est Paris ou Tokyo ?

Ah… Paris

Sushi ou Raclette ?

Oh sushi !

Issey Miyake ou Chanel ?

Issey Miyake.

Oki Sato ou Charlotte Perriand ?

Perriand.

Japon ou Japonisme ?

Ah ça c’est très, très compliqué. On a le droit de choisir fromage et dessert ?

Si j’étais absolument obligée je dirais Japon. Par exemple, si demain on me demande : « vous êtes conservatrice des collections japonaises ou japonistes ? », je dirais japonaises, donc pour votre question, je dirais Japon. Mais, j’aime le Japonisme parce que j’adore ses histoires de rencontre. Je trouve que le métissage, la rencontre, l’hybridation, elle est toujours tellement plus intelligente que le « 100% » quelque chose. Dans l’histoire des civilisations, celles qui sont le plus créatives s’inscrivent souvent dans des moments de métissage. D’une certaine manière, j’aimerais vous dire Japonisme, mais voilà, cela dépend du contexte.

Cette exposition Japon-Japonisme on l’a finalement faite à l’image du titre, aussi bien pour les collections que pour le commissariat d’exposition. Et même livre, il est essentiellement en français mais il y a aussi des participations des deux commissaires d’exposition invités, et de deux auteures japonaises. Quant à la scénographie, elle est faite par un japonais, dans un musée français. En réalité, je voulais que le livre comme l’exposition soient à l’image de ce qu’on voulait faire passer comme message.

Merci à Béatrice Quette pour son temps et sa bienveillance.

Liens vers les médiations « Vivez Lézard ! » :

Pour plus d’informations sur notre colloque « Médiation : pourquoi le design s’en mêle ? » :

1    Olivier Gabet a été conservateur au Musée d’Orsay puis directeur scientifique adjoint pour l’Agence France-Muséums et pris la direction du MAD en 2013.

2  Exposition De la Chine aux Arts Décoratifs, du 13 février 2014 au 11 janvier 2015.

3  Les émaux cloisonnés sont une des classes les plus importantes de l’émaillerie. Leur procédé repose sur l’utilisation des cloisons pour séparer les différentes vitrifications.

En collaboration avec le Musée des Arts Décoratifs de Paris, le Bard Graduate Center de New York expose 160 cloisonnés chinois (émaux sur métal) des 14e-17e siècles.

5 Visite guidée de l’exposition Japon-Japonisme afin d’obtenir des informations précises pour  construire nos médiations dans le cadre des soirées “Vivez Lézard !”

6 Exposition Japon-Japonisme Consacrée à la collection d’objets japonais et japonistes de ?1867 à 2018 du Musée des Arts Décoratifs.


Caroline Bougourd

Enseignante en Arts Appliqués à l'École Boulle