Propos recueillis par Manon Grange, Rose Hurtaud et Églantine Jénin.
Interview bienveillante entre La Martinique et Paris, nous avons échangé avec Alexandra Verbec, jeune scénographe et entrepreneuse pétillante, autour de son parcours.
Étudiantes en DSAA Événementiel et Méditation, la direction artistique est un domaine dans lequel nous envisageons notre future vie professionnelle, ce qui nous a amenées à contacter Alexandra afin de l’interroger sur son expérience.
Lundi 8 février 2021, nous nous sommes donc connectées sur Zoom avec elle. Alors que nous voyons la neige tomber par la fenêtre à Paris, elle nous donne un rapide aperçu de sa vue sur la mer martiniquaise, son lieu de télétravail pour quelques jours. Voici notre échange !
Bonjour Alexandra ! Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Bonjour ! Je suis Alexandra Verbec, j’ai 30 ans. J’ai fait mes études à l’ESAIL (École Supérieure d’Architecture Intérieure de Lyon) et aujourd’hui je considère que je suis décoratrice d’intérieur, scénographe et illustratrice, j’essaye de combiner les trois !
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire ces métiers ?
Je dirais que c’est le côté créatif, j’avais vraiment envie d’une pratique manuelle. Ce qui me plaît c’est surtout le fait de travailler tous les jours sur quelque chose de différent.
Peux-tu nous parler de tes débuts dans le monde professionnel ?
J’ai commencé dans une agence de scénographie qui fait des projets événementiels, comme des vitrines pour des marques de luxe, des décors pour des lancements de produits, etc. Ça m’a apporté le niveau d’exigence du monde du luxe et le côté très coloré, créatif et manuel. Au départ, je partageais mon temps entre cette agence d’architecture d’intérieur. Je travaillais donc aussi sur des projets d’aménagement d’appartements dans lesquels il fallait aller vite et où on utilisait principalement de la 3D. C’est là que j’ai vu la différence entre les deux univers et que j’ai compris que je ne voulais pas laisser tomber le dessin et le côté plus expérimental de la création.
Pourquoi as-tu commencé à travailler en agence après tes études ?
Ça s’est fait naturellement, on m’a proposé un poste en agence après mes études. Mais même si ça ne s’était pas fait comme ça, j’aurais cherché moi-même à travailler en agence, parce qu’il y a un côté rassurant : on ne se lance pas tout seul dans le vide après les études et on peut bénéficier de projets auxquels on n’accéderait pas en étant seul. Le travail en équipe m’attirait aussi, comme le fait de pouvoir bénéficier de l’expérience d’une agence.
Pourquoi as-tu choisi le statut de freelance ?
Au départ parce que je n’ai pas eu trop le choix *rires*, on m’a proposé le poste comme ça. Mais j’ai ensuite choisi de garder ce statut pour la liberté qu’il accorde. Il permet de pouvoir travailler sur plusieurs projets avec différents clients, de s’imposer un rythme de vie qui nous plaît, d’organiser son temps comme on le souhaite, même si on n’a pas toujours le choix, évidemment. J’adore cette indépendance, c’est pour cela que je l’ai gardé.
Même si tu aimes ce côté indépendant, comment gères-tu le travail en équipe ?
J’ai adoré travailler en équipe. Chez Manymany, l’agence de scénographie dans laquelle je travaillais, j’ai eu la chance de diriger des projets, et d’avoir en charge mes collègues et des stagiaires. J’ai trouvé le côté managérial très intéressant, et j’ai beaucoup aimé trouver des solutions pour faire avancer une équipe. J’utilisais beaucoup Trello (outil de gestion de projet en ligne), je trouvais cet outil indispensable pour répartir les tâches de chacun et pour avoir un planning clair, sinon on ne s’en sort pas ! Avoir une équipe et la gérer est un aspect intéressant du métier, très stimulant et c’est aussi très gratifiant.
Y a-t-il un projet qui t’a particulièrement marquée pendant cette période de travail en agence ?
Oui, je dirais que c’est le premier projet que j’ai fait pour Hermès en 2015. C’est ce qui a fait que j’ai commencé à gérer des projets toute seule. Le thème du projet était la flânerie. J’ai dessiné nos idées pour les présenter au client, suite à quoi il a voulu que les décors soient illustrés. C’est le projet qui m’a le plus marqué car il m’a donné une légitimité que je n’avais pas forcément, parce que le client a choisi une de mes propositions, mais aussi car ça m’a permis de rebondir et d’amener l’illustration dans mes projets. Ça m’a surtout donné confiance pour développer cet outil dans mon métier.
Est- ce que tu dirais que le dessin et l’illustration sont indispensables pour toi dans les métiers de la création ?
Pour moi, oui ! Mais je pense que de manière générale ce n’est pas indispensable. J’ai vu des professionnels qui ne dessinaient pas, qui n’aimaient pas trop ça, et qui arrivaient quand même à présenter leurs idées, leurs concepts et ça marchait très bien. Pour moi, c’est un bémol, je trouve ça beaucoup plus poétique et personnel que lorsqu’on fait de la 3D pour présenter son projet. Pour moi, l’illustration est un gros plus.
Est-ce que tu trouves que les clients sont généralement assez ouverts sur le dessin ou bien préfèrent-ils la 3D ?
Je suis plutôt tombée sur des clients qui étaient assez ouverts et qui étaient contents d’avoir un dessin. Les clients ont l’impression que l’on fait quelque chose pour eux, qu’on leur apporte un plus et qu’on a pris le temps de leur faire un dessin. Je me sers quand même de la 3D, mais plutôt comme d’un calque pour redessiner par-dessus.
*rires* C’est bon à savoir et ça rassure !
Ah, par contre en architecture d’intérieur, je ne dis pas que c’est forcément le cas. Évidemment c’est beaucoup plus simple pour pouvoir tourner dans l’espace.
Oui, c’est sûr ! Par ailleurs, est-ce qu’il y a quelque chose que tu n’as pas appris à l’école mais que tu as appris au cours des projets en agence ?
Ce que je n’ai pas appris à l’école, c’est la réalité du client je pense. Déjà, il y a la réalité de la fabrication. Il y a aussi le budget qui limite beaucoup, d’une part dans la réalisation, mais aussi dans la création. On se rend compte que le budget du client change plusieurs fois et qu’il n’est souvent pas très élevé. Ça arrive aussi qu’un projet soit totalement modifié au cours des étapes de validation. Parfois, on se rend compte que le projet réalisé ne ressemble plus du tout à ce qu’on avait proposé au début. C’est un peu frustrant mais il faut réussir à s’en détacher, à se dire que le décor n’est pas l’élément principal, qu’il est vraiment là pour mettre en avant le produit. À l’inverse, on a des clients qui sont tout de suite d’accord pour réaliser ce qu’on leur a proposé, avec peu de modifications. C’est assez rare, mais c’est génial !
« Il faut réussir à se dire que le décor n’est pas l’élément principal, et qu’il est vraiment là pour mettre en avant le produit. »
Maintenant que l’on en sait plus sur ton travail en agence, on aimerait parler davantage de ta vie d’entrepreneuse et de tes projets plus personnels, comme PliPapierCiseaux. Est-ce que tu pourrais expliquer en quelques mots ton concept ?
PliPapierCiseaux est une marque d’objets en papier à monter soi-même. Ce sont des petits kits créatifs pour les adultes et pour les enfants. Dans un kit, on trouve tout ce qu’il faut pour fabriquer ses objets décoratifs. Il contient la petite notice explicative, les pastilles de double face et le papier qui est déjà découpé et pré-plié. Ça permet donc aux gens qui ne sont pas familiers avec la découpe de papier de faire quelque chose de super joli chez eux. Il y a différents niveaux de kits : pour les débutants et pour les plus expérimentés. L’idée, c’est de pouvoir répondre à différents types de projets et à différents niveaux de « DIY Addict ».
Qu’est-ce qui t’a poussé à monter ton propre projet ?
Le développement de PliPapierCiseaux a vraiment été un consensus d’opportunités et de rencontres qui m’ont donné envie de pousser un peu plus les choses qui me plaisaient. Le fait de travailler avec l’agence Manymany m’a permis de gagner en légitimité. Je me suis rendue compte que je pouvais gérer des projets toute seule, même en étant dans une agence. À ce moment-là, on utilisait beaucoup de papier pour créer des décors et on cherchait un moyen de recycler les chutes, tout en créant quelque chose ensemble : c’est comme ça qu’est né PliPapierCiseaux. Le projet a ensuite beaucoup évolué bien sûr. Il a aussi été motivé par l’envie de liberté, car c’est frustrant à force, de ne pas pouvoir décider de l’ensemble des choses et pouvoir tout faire soi–même. J’avais envie de créer un projet plus personnel de A à Z, de voir ce projet progresser et de me mettre un nouveau challenge. Je pense qu’il y a donc des étapes antérieures qui l’ont validé et qui m’ont permis de me dire que j’étais capable de lancer ce projet. J’ai toujours travaillé à côté, sur d’autres projets, pour avoir une sécurité. J’ai gardé mon activité de scénographe et j’essayais de travailler à côté sur PliPapierCiseaux plusieurs jours par semaine, selon mon activité principale. Ça m’a permis de me lancer plus sereinement sur des choses un peu plus personnelles.
Comment s’est passé le développement de PliPapierCiseaux, à partir du moment où tu as décidé de lancer ce projet ?
J’avais très envie de travailler avec des particuliers sur le Do It Yourself qui m’intéressait beaucoup : c’était un peu différent de ce que je faisais habituellement et je ne savais pas trop par où commencer, comment créer une entreprise, comment tout mettre en place, etc. J’ai commencé à me renseigner sur la manière de développer mon projet. C’était à la fois un peu flippant et carrément excitant ! Je me suis entourée d’amis, et leur ai posé mille questions, chacun dans son domaine, étant donné que le projet partait de zéro, sans aucun budget. Je me suis entourée de gens qui ont pu m’indiquer comment fixer mes prix, créer mon site internet et l’optimiser, comment travailler le démarchage commercial, rédiger les conditions de vente pour les boutiques, etc. L’idée était de réussir à m’entourer de personnes qui me donneraient des petites clefs et de travailler beaucoup, parce qu’il faut être super, super, motivée ! Je pense aussi qu’il faut laisser la chance au projet de se lancer et d’évoluer. Il faut se lancer même quand ce n’est pas parfait.
*Interruption par un ami d’Alexandra qui l’aide sur son travail pendant notre interview*
Vous pouvez voir que je mets beaucoup à contribution mon entourage ! *rires* Quand on travaille seul, on n’est pas vraiment tout seul !
« Ça change tout d’avoir du soutien, ça permet de se sentir encouragée, portée par les autres et d’avoir de la légitimité ! »
C’est un sujet qu’on voulait aussi aborder ! Quand tu as monté ton projet, est-ce que le soutien de ton entourage était un appui pour toi ?
Oui c’est hyper important ! Si je n’avais pas eu mes amis qui travaillent dans le marketing, le commerce ou la comptabilité, j’aurais été larguée. J’aurais mis beaucoup plus de temps à développer chaque aspect du projet. Aujourd’hui, j’ai au moins trois copains qui sont présents dans le quotidien de PliPapierCiseaux pour m’aider. Ils le font, car ils ont suivi le projet depuis le départ et ils sont contents d’encourager ce projet et de le soutenir à leur façon. Ça change tout d’avoir du soutien, ça permet de se sentir encouragée, portée par les autres et d’avoir de la légitimité !
Mis à part ton entourage *rires*, quels sont tes trois outils indispensables ?
Mon ordinateur est mon outil indispensable ! Et je dirais aussi ma machine à découper et ma tablette graphique ! J’ai un énorme coup de cœur pour cet outil. Mais il y en a aussi plein d’autres, comme le cutter, les ciseaux, la motivation, la curiosité !
Tu nous as dit que tu travaillais aussi comme prestataire indépendante sur des projets de scénographie. Concernant ta démarche, quelles sont les étapes du processus par lesquelles tu passes, de la commande au rendu du projet ?
Si l’étape du démarchage client a déjà été faite, la première étape est la réception d’un brief. Je le relis avec le client pour être sûre d’avoir bien compris la demande. Je lui propose ensuite deux à trois idées avec des moodboards d’inspiration et quelques croquis. Une fois que j’ai un premier concept validé, je le développe. J’ajuste ensuite le projet en fonction des retours du client jusqu’à la validation du projet final. Je passe alors à la production avec la création des plans techniques, le choix des matériaux, etc. Je fais ensuite la production ou seulement son suivi. Pour finir, il y a les étapes d’installation et de désinstallation. Je fais éventuellement une guideline pour expliquer comment se monte le projet, ça permet au rendu d’être fidèle au projet vendu.
Oui, on imagine, mais ton point de vue est plutôt encourageant ! Est-ce que tu pourrais maintenant nous décrire une journée type ?
Une journée type commence avec un grand café ou un grand thé ! Je commence par la partie la moins marrante en faisant un tour de mes mails. J’envoie les factures, les devis et je fais éventuellement un point comptabilité. Je passe ensuite la majeure partie de la journée sur de la création, avec des développements de projets et des pauses créatives pour aller faire un tour sur les réseaux sociaux ou dehors, tout simplement ! Mais ce n’est pas figé, il y a toujours des projets qui arrivent, des urgences qui tombent, ça change tout le temps, et heureusement d’ailleurs !
Qu’est-ce que tu préfères dans ton métier ?
C’est difficile de trouver une seule chose ! Ce que j’adore, c’est l’imagination et le fait de raconter des histoires. Je trouve ça génial et infini ! On peut raconter beaucoup d’histoires en décors et en scénographie. C’est super enrichissant et c’est aussi ça qui donne plus de personnalité aux projets et qui permet de se démarquer.
Peux-tu nous citer un point positif et un point négatif à être entrepreneuse ?
Le gros point positif, pour moi, c’est la liberté des choix, le fait d’être autonome et maître de tout ce que je fais. Le point négatif, forcément, c’est l’insécurité. On n’est jamais sûr, on ne sait pas si on va réussir à trouver les clients, à faire fonctionner son projet. Si on arrive à prendre du recul avec ça, c’est vraiment un statut génial !
Pour finir, quel conseil pourrais-tu nous donner ?
Je vous dirais d’être hyper rigoureuses dans ce que vous faites. Avoir un haut niveau d’exigence avec vous-mêmes dans ce que vous proposez fait la différence. Même si vos projets sont super, quand c’est un peu bancal dans la fabrication, par exemple, ça perd en qualité. Et, c’est bête à dire, mais faites-vous plaisir ! Le fait d’y croire changera la vision de votre projet, autant pour vous que pour les autres, c’est super important !
« Et, c’est bête à dire, mais faites vous plaisir !»
Merci beaucoup Alexandra pour tes conseils et cet échange super enrichissant !
Lexique
freelance : qui est indépendant dans sa profession et n’a pas de contrat de longue durée avec un employeur particulier.
guideline : ligne directrice du projet.
Pour en savoir plus sur le travail d’Alexandra :